Christie Morreale | Pour que l’école de la réussite soit celle de tous!
Vice-Présidente du Gouvernement wallon, Ministre de l’Emploi, de la Formation, de la Santé, de l’Action sociale, de l’Egalité des chances et des Droits des Femmes
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Pour que l’école de la réussite soit celle de tous!

Intervention dans le cadre d’un débat au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur le financement de la lutte contre le décrochage scolaire (12 novembre 2015).

Question adressée à Joëlle Milquet, vice-présidente et Ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance.

 

L’institut Itinera vient de publier les résultats d’une étude sur le décrochage scolaire. Je voudrais en souligner deux éléments positifs. Premièrement, nous constatons une diminution puisqu’en 2000, 121.900 élèves étaient concernés pour l’ensemble de la Belgique alors qu’aujourd’hui, on en compte 94.000.

Deuxièmement, notre pays se situe dans la moyenne des pays européens. Néanmoins, on note des disparités plus importantes en fonction des niveaux socio-économiques des élèves et de leur famille. On remarque aussi que les garçons sont davantage touchés que les filles: ce sont les garçons qui sont discriminés qui sont les plus concernés par le décrochage scolaire. Une réflexion est menée en marge des consultations pour le Pacte d’excellence, à l’issue desquelles – j’imagine – un certain nombre de constats seront dressés et des mesures seront prises, mais il faut aussi laisser du temps à la consultation et au caractère participatif du Pacte d’excellence pour aboutir à des mesures.

On ne part cependant pas de rien: nous disposons – puisque le problème est connu – d’un certain nombre de mesures et de dispositions. Je pense notamment aux services d’accrochage scolaire (SAS) qui ont des taux de réussite assez intéressants: on parle de 60 à 80 % d’élèves réintégrés dans leur scolarisation à l’issue de ce processus. Il y a aussi, et c’est assez récent, des mesures appliquées dans les écoles. Je pense notamment au dispositif interne d’accrochage scolaire (DIAS), un dispositif intégré qui permet de travailler sur le raccrochage au sein même des écoles. On sait combien il peut être important de maintenir les élèves le plus possible au sein de leur établissement. Je pense que les taux de réussite y sont encore plus intéressants. On sait que les SAS concernent surtout les élèves relevant des articles 30, 31 et 31bis. Sachant que les SAS concernaient environ 512 élèves l’année dernière en Communauté française, on estime que 6.000 sont potentiellement concernés par des mécanismes comme les DIAS.

Il y a aussi une initiative prise avec le ministre Madrane, qui consiste à mettre à disposition des moyens dans les écoles, en lien avec les institutions d’aide à la jeunesse. Cela permet de mettre sur pied des équipes multidisciplinaires qui cherchent des solutions: la réponse se fait en effet dans la pluridisciplinarité.

Il y a aussi des commissions de réinscription qui fonctionneraient de manière assez disparate. Il serait intéressant d’avoir votre éclairage à ce sujet, de voir comment elles fonctionnent et comment elles pourraient mieux fonctionner car, apparemment, elles ne disposeraient que de très peu de moyens.

On a validé et soutenu, dans le cadre de votre ajustement budgétaire, l’octroi de moyens supplémentaires pour lutter contre le décrochage scolaire. J’aurais dès lors voulu savoir quelles nouvelles initiatives vont être prises. Comment envisagez-vous de poursuivre et d’accentuer la politique de raccrochage ou d’accrochage scolaire?

L’étude d’Itinera est assez critique sur les statistiques dont on disposerait en Communauté française. De ce point de vue, la Communauté développera-t-elle des projets? Enfin, de manière plus globale, quelles sont les ambitions de la Communauté française en matière de raccrochage scolaire?

Réponse de la ministre

Je vous remercie pour vos questions et vos apports concernant cette thématique qui nous pousse en grande partie à mettre rapidement en œuvre le Pacte pour un enseignement d’excellence. En effet, comme vous le savez, le nombre d’élèves à indice socio-économique faible qui est en échec ou en décrochage est plus important dans notre Fédération que dans les autres systèmes. Nous devons nous occuper de manière prioritaire des élèves qui ont des difficultés d’apprentissage, parfois dues à des problèmes familiaux ou psychologiques.

Cela fait maintenant une année que j’ai pris le problème à bras-le-corps, notamment donc dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence. J’ai aussi pris une mesure visant à diminuer la tolérance relative à l’absentéisme. Cette disposition décrétale n’est peut-être pas suffisante mais est loin d’être anodine. Depuis septembre, nous sommes passés, pour l’enseignement secondaire, d’une tolérance de 21 demi-jours à 9 demi-jours. C’est dans l’enseignement secondaire que le décrochage est le plus problématique, particulièrement pour les garçons de 15 à 17 ans. Dans l’enseignement fondamental, notamment dans le Hainaut et à Bruxelles, l’absentéisme est davantage lié à certaines pratiques de type familial sur lesquelles il faudra aussi travailler.

Nous finalisons actuellement, au sein de l’administration, la mise sur pied d’une task-force de lutte contre le décrochage chargée de s’assurer que chaque élève signalé bénéficie d’un suivi opérationnel, en lien avec l’aide à la jeunesse et la famille. Cette spécialisation n’existait pas jusqu’à présent. Une équipe est donc chargée du monitoring. Il s’agit ici d’une mesure de réorganisation administrative.

Par ailleurs, les services d’accrochage scolaire seront refinancés à hauteur de 600.000 euros. Il s’agit d’un premier pas, qui sera suivi d’autres types de soutien et qui vise à répondre à la première urgence. Nous définirons les modalités ensemble. Notre objectif est de disposer au minimum d’un équivalent universitaire spécialisé en coordination pédagogique. Nous voulons nous assurer de la qualité du travail réalisé mais aussi de la coordination avec les établissements scolaires. En effet, ce travail de «récupération» d’un enfant en décrochage nécessite des qualifications et des spécialisations qui dépassent celles du simple travail d’enseignement.

Au-delà de ces 600.000 euros, nous avons débloqué 15 millions pour financer un grand projet de lutte contre le décrochage scolaire, lancé en septembre. C’est la première fois qu’une telle somme est spécifiquement affectée au décrochage scolaire. Ce projet vise principalement Bruxelles, Liège et le Hainaut qui sont les trois provinces les plus touchées. Il s’agit de financer en priorité des projets coordonnés et interdisciplinaires impliquant l’école, le CPMS et un service d’aide à la jeunesse. Les services d’accrochage scolaire sont donc financés pour leur rôle de coordination.

Dans ces trois provinces, nous avons reçu jusqu’à présent 65 projets, dont 22 à Bruxelles. Ces projets vont coordonner les équipes et le suivi des élèves en risque de décrochage et des élèves qui sont en situation de décrochage. Cinquante pour cent du projet sont financés par la Fédération et les autres cinquante pour cent par l’Europe. Par souci d’homogénéité, j’ai dégagé 300.000 euros pour financer des appels à projets destinés aux provinces du Luxembourg, de Namur et du Brabant wallon qui sont moins touchées par ce problème et sont sociologiquement plus aisées.

Le renforcement des écoles de devoir est un autre élément important dans la lutte contre le décrochage scolaire. Nous en reparlerons lors du débat sur le budget. Nous avons dégagé 850.000 euros, soit 70 % de financement supplémentaires. Nous avions déjà dégagé cette année 500.000 euros. Nous avons pérennisé cette somme à 800.000 euros pour l’année 2016. Nous travaillons également sur la détection précoce et le renforcement des apprentissages de base. La détection précoce figure dans le décret qui vous sera soumis dans quinze jours.

L’étude Itinera met le doigt sur ce qui me semble essentiel, à savoir la gouvernance pédagogique et le pilotage. Ces deux éléments n’ont pas suffisamment été déployés dans les établissements de notre fédération. C’est pourquoi nous demandons à toutes les écoles de préparer en équipe et avec l’aide de spécialistes, pour la rentrée 2017, un plan de pilotage de l’établissement qui sera annexé au projet d’établissement et présentera une stratégie en plusieurs points avec des objectifs chiffrés. Une des stratégies essentielles vise la lutte contre le redoublement et le décrochage scolaire. Les objectifs devront tenir compte des objectifs macro que nous fixerons dans le plan de pilotage global pour la Fédération. L’objectif européen est de 9,5. Il faut à tout le moins l’atteindre et si possible aller au-delà. Ce point fait l’objet de discussions, notamment dans le groupe de travail du Pacte d’excellence chargé du soutien du parcours de l’élève. Le plan de pilotage par établissement est un élément tout à fait nouveau.

Nous procédons également – et c’est une autre disposition du décret dont nous allons analyser le contenu dans quinze jours – à l’accompagnement systématique des établissements fragiles. Il s’agit d’établissements à sociologie caractéristique identique aux autres, mais dont certains indicateurs (les performances des élèves, le taux de décrochage et de redoublement, etc.) sont dans le rouge. Systématiquement, quel que soit le réseau, une équipe vient poser un diagnostic à partir duquel un plan d’accompagnement est concerté avec l’établissement.

Nous disposons d’une série de leviers contre le décrochage: mieux gérer les exclusions à l’heure où un enfant exclu a beaucoup plus de risques de décrocher dans un autre établissement même s’il a les capacités intellectuelles de s’en sortir; rallonger le tronc commun au moins jusqu’à la troisième année avec une logique d’orientation qui motive davantage les jeunes; réformer le qualifiant pour leur permettre de faire plus rapidement des stages en entreprise; redonner du sens à ce type d’apprentissage et le considérer comme un apprentissage d’excellence; redonner enfin – c’est l’une des premières conclusions du rapport sur l’école du 21e siècle – le goût, la motivation et le plaisir d’apprendre, ce qui implique des révolutions dans la méthodologie, l’organisation et la manière de s’adresser au public jeune. Le fameux groupe sur le parcours du jeune est en train de travailler sur tous ces thèmes.

Réplique de C. Morreale

Dans un débat d’actualité, il est difficile d’approfondir certains aspects. Nous aurons l’occasion de le faire en commission. On sait à quel point il est difficile de trouver du travail quand on n’a pas fini ses études secondaires. Pour que l’école de la réussite soit celle de tous, les plus faibles ont besoin de moyens supplémentaires. Nous ne sommes pas tous nés sous une bonne étoile. Les chiffres montrent qu’un euro investi dans la discrimination positive ou l’accrochage scolaire revient multiplié par six ou huit. Nous avons donc intérêt à consacrer des moyens à l’accrochage scolaire et aux populations les plus défavorisées ou qui connaissent moins bien le français.

Politiquement, je ne comprendrais pas que certains s’offusquent du fait que, dans la situation difficile que nous connaissons, nous ayons renforcé les écoles de devoirs et les services d’accrochage scolaire (SAS). Si c’est un choix de société, c’est la preuve qu’il ne faut pas taper sur les plus faibles, comme certains le font…